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J’ai d’abord cru que c’était le chat. La nuit, cela lui arrive d’avoir des quarts d’heure de folie, il monte les escaliers, les descend, les remonte et les redescend, x fois, jusqu’à plus soif. J’ai d’abord cru que c’était lui, mais le bruit était plus sourd, plus lointain et plus affirmé. Cela arrive souvent que le parquet du bas craque, mais pas de cette façon. La chambre est située au-dessus du salon. La résonance provoquée par ce bruit étrange était saisissante, malgré ma somnolence. Quand j’étais petit, nous jouions à nous faire peur avec Christelle. La disposition de la maison était à peu près semblable à celle-ci et nous imaginions une petite vieille, qui habitait jadis les lieux et qui ressuscitait la nuit. Tour à tour, nous lui inventions un parcours, avec des obligations qui rallongeaient sa course et nous faisaient monter l’adrénaline. Sans ces expériences, on ne peut pas se rendre compte du pouvoir de l’imagination. La petite vieille cherchait un document, lisait quelques minutes, passait par la cuisine, trifouillait dans les tiroirs de la cuisine, se saisissait sans doute d’un couteau, revenait dans la salle à manger après être passée par l’arrière-cuisine, mangeait un bout… Comme par hasard, la chaise venait à faire un crissement sur le carrelage, le chien de Christelle devait l’avoir heurté ou peut-être que non, peut-être bien que c’était la petite vieille. Un volet claquait, les escaliers craquaient, nous étions en sueur au fond de nos lits, puis on entendait des pas dans la pièce voisine, nous étions tétanisés et n’osions plus parler. Je somnolais à en mélanger ce souvenir d’enfance et les bruits étrangers qui couraient depuis le parquet du salon. Parfois, la force de l’imaginaire impose sa propre réalité. De toute évidence, il y avait quelqu’un qui parlait tout bas, tout seul. C’était la voix d’une vieille femme qui marmonnait. En coupant ma respiration et en me figeant sous les draps, je restais attentif pour discerner les pas du chat qui devaient donner échos à la scène. Mais rien, il n’y avait que cette voix rocailleuse et le craquement des derniers brandons dans le foyer de la cheminée. J’avais hésité à étouffer le reste des flammes qui avait réduit en cendres une partie des derniers documents que les anciens propriétaires avaient laissés. Je rêvais sans doute. J’étais à la frontière du doute et du réel. Le passé et le présent s’entrechoquaient dans une vaste phase métaphorique occasionnée par la destruction de ces documents. C’est toujours difficile à expliquer, mais il ne pouvait pas s’agir d’autre chose que de la transposition de mon esprit qui ressuscitait cette vieille, même si persistaient ce bruit et ce murmure croissant de désolation et de dépossession. C’était ce bourdonnement sourd qui m’exhortait. Je ne rêvais pas, le parquet de la chambre venait de claquer comme rarement.

A suivre...

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